L’araignée dans Tintin
Cet été, vacances obligent, j’ai eu le loisir de relire quelques aventures de Tintin. Un album a particulièrement retenu mon attention, celui de « l’Etoile mystérieuse ». Les lecteurs de Tintin comprendront sans doute pourquoi : l’importance de l’araignée y est flagrante et se trouve portée à son paroxysme.
Pour la tintinophile et arachnophobe que je suis, il y a là matière à rêver…
Dans cet album, nous assistons au face-à-face entre Tintin et une araignée géante, qui est orchestré en trois temps avec une montée en puissance.
Vécue par le personnage comme une vision d’épouvante, cette expérience traumatisante est associée à un cataclysme cosmique aux allures d’apocalypse qui vient répondre, comme dans une partition à deux voix, au ressenti psychologique du jeune héros.
La première apparition de l’araignée géante est une vision hallucinante, puisque Tintin est brutalement mis en présence d’un monstre aux pattes velues aux dimensions effarantes, voyageant à travers l’espace sur une énorme boule de feu et fonçant tout droit vers la Terre. Chose étonnante, il est davantage bouleversé, dans un premier temps, par les dimensions monstrueuses de l’arachnide que par l’imminence de la collision. Puis, dans un second temps, sa raison reprend le dessus sur l’impression ressentie, et Tintin prend conscience qu’il s’agit d’une Epeire diadème, petite araignée commune et inoffensive bien de chez nous, agrandie par la lentille grossissante du télescope dans lequel il était en train de regarder. Il s’agit donc d’une déformation de la réalité, l’araignée géante n’est pas réelle.
Le second face-à-face avec l’araignée géante est présenté comme une prophétie, qui trouvera son accomplissement dans les temps à venir. La répulsion instinctive pour cette araignée « grandeur nature » n’explique plus à elle seule le choc ressenti par Tintin. La vision apocalyptique de fin du monde suscite une terreur religieuse, qui vient cristalliser dans l’araignée « châtiment ». Ce face-à-face onirique (il ne s’agit que d’un rêve) a une valeur prémonitoire, et comme le premier face-à-face cosmique, annonce et prépare le dernier.
Cette fois, le moment tant redouté arrive. Tintin se trouve en présence d’une araignée monstrueuse et menaçante, qui a pris corps et semble bien ancrée sur la terre ferme cette fois. En fait de terre ferme, il s’agit plutôt d’un morceau d’aérolithe tombé à la mer après la collision entre le bolide et la terre. L’impact a eu lieu, le déchaînement apocalyptique s’est produit et Tintin se trouve au cœur de ce désordre.
Cette météorite tombée du ciel est un lieu insolite, à la fois île, désert et forêt, trois lieux symboliques par excellence de la mise à l’épreuve et du face-à-face avec soi-même, ses peurs et ses angoisses. Les propriétés de ce lieu d’exception sont encore plus étranges, puisque celui-ci a le pouvoir de faire grandir les êtres vivants qui s’y trouvent.
Cet astéroïde projeté sur notre Terre relève davantage de l’imaginaire que du réel. Manifestation du bouleversement apocalyptique qui vient de se produire, il est plus qu’un lieu d’exception ; c’est un lieu de révélation et de dévoilement, comme le laisse entendre le sens premier du mot « apocalypse ». L’araignée géante n’est pas plus réelle que les fois précédentes, elle est simplement vue à travers la loupe des hantises et des angoisses de Tintin qui viennent l’entretenir et la nourrir. C’est une araignée « intérieure », amenée par Tintin lui-même sur l’île mais à son insu, qu’il découvre lorsqu’elle s’échappe. Et ce n’est pas l’aérolithe qui fait grandir l’araignée, mais bien notre héros, puisque lui-même ne subit pas de transformation.
Plus généralement, on pourrait dire que ce télescopage de deux univers radicalement différents, cette projection, voire intrusion d’un univers dans un autre, n’est qu’un formidable écho de l’aventure humaine intérieure au travers de laquelle notre imaginaire s’efforce sans cesse de projeter son emprise sur le réel, en produisant une augmentation de la réalité, comme le révèlent les champignons sécrétés par l’astéroïde, tandis que notre raison s’efforce de contenir et résorber les débordements de notre imaginaire, ce qui se produit lorsque l’aérolithe et l’araignée géante sont effacés de la surface de la Terre en étant engloutis.
Finalement, cette histoire d’araignée sans fil ni toile est loin d’être un simple divertissement d’horreur. Outre une bonne dose d’aventure et de frisson, « l’Etoile mystérieuse » nous offre une surprenante mise en lumière de l’intériorité humaine qui confine au surréalisme, dont l’araignée est à la fois le déclencheur et le révélateur.
Source : Christine
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