Comment l’anolis carolinensis devient le champion de l’adaptation darwinienne
Il se trouve peut-être parmi vous d’heureux détenteurs d’un petit lézard vert aux allures graciles et long d’une vingtaine de centimètres dont le nom est Anolis carolinensis. Ce modeste compagnon, aussi appelé Anole vert, facile à vivre et agréable à observer peut faire la joie des grands et petits en jouant à ses heures dans la cour des caméléons. Il est en effet capable de modifier la couleur de ses écailles (du brun au vert acidulé) en fonction de son humeur, de la température et de son environnement.
Ce modeste reptile, dis-je, en apparence comme les autres, vient de se trouver propulsé sous les feux de la rampe grâce à l’aboutissement d’une expérience scientifique menée depuis vingt ans sur des îlots au large de la Floride.
En mai 1995, Yoel E. Stuart de l’université Harvard (Massachusetts), a eu l’idée d’introduire sur ces îlots artificiels déjà colonisés par l’Anole vert, un concurrent. L’Anolis sagrei ou Anole marron, est une espèce d’origine cubaine qui a déjà su s’imposer face à son cousin vert dans tout le sud-est des Etats-Unis. Il avait été en effet observé que ces deux espèces voisines, toutes deux arboricoles, semblables en taille, partageant le même régime alimentaire et occupant les mêmes niches écologiques, étaient peu enclines à cohabiter pacifiquement.
En introduisant ce compétiteur dans le milieu habité uniquement par des Anoles verts, le chercheur américain espérait remonter aux origines du phénomène d’adaptation et appréhender le processus dès son émergence. Il postulait en particulier que la rapidité de l’adaptation à un changement était proportionnelle au degré de pression de la sélection naturelle imposée par l’intrusion brutale du concurrent.
Deux décennies plus tard, le 24 octobre dernier, le chercheur et son équipe publiaient dans la revue « Science » des résultats dépassant leurs espérances. Dès août 1998, un changement de comportement a été observé chez l’Anole vert. En présence de l’Anole brun, le premier habitant des îlots abandonne au nouveau venu le tronc et les branches pour se réfugier à la cime des arbres et en faire désormais son unique habitat.
Mais surtout, en dix ans à peine, soit en une vingtaine de générations, la morphologie des pattes de l’Anole vert s’est modifiée pour s’adapter à son mode de vie plus aérien sur un support plus flexible. Les spatules de ses doigts sont devenues plus grandes et leurs lamelles adhésives plus fournies, offrant ainsi une adhérence plus efficace pour courir aisément sur le feuillage de la canopée. L’explication la plus « convaincante » avancée à l’heure actuelle pour justifier un tel phénomène serait qu’une situation de stress modifierait légèrement la lecture des gènes en réveillant et en activant des possibilités jusqu’alors endormies et « muettes ».
Lorsque vous regarderez à nouveau votre petit compagnon à écailles s’ébattre innocemment dans son terrarium, vous réaliserez que son apparente fragilité cache en fait une capacité insoupçonnée d’adaptation. Non seulement votre petit protégé se fait le porte-drapeau de la théorie de l’évolution, mais il la dépoussière par la même occasion puisqu’il balaie l’idée préconçue selon laquelle l’évolution ne peut se faire que très lentement sur des milliers d’années. Votre champion peut désormais se parer du vert vif de la victoire.
Sources :
Le Figaro, 4 novembre 2014
Le Monde, 29 octobre 2014
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