Les racines de l’agression chez le perroquet, séminaire de Johanne Vaillancourt
Le perroquet n’est pas agressif par nature, mais il peut commettre des agressions. Il est capable, dans certaines circonstances, de manier son bec comme une arme redoutable. Dans le contexte de la captivité, les « croquées » de nos compagnons à plumes à l’encontre de notre personne ne sont pas rares et peuvent s’avérer douloureuses, voire dangereuses. Face à ces dernières, nous sommes d’autant plus désemparés qu’elles s’inscrivent le plus souvent dans le cadre d’une relation affective forte et d’une très grande complicité. Ces morsures nous semblent incompréhensibles et contradictoires, et peuvent conduire à nous méfier et à nous éloigner de notre perroquet perçu désormais comme un être imprévisible.
Renouer le dialogue entre l’humain et son oiseau est l’un des enjeux évidents de la journée de formation donnée à Fontainebleau par la comportementaliste Johanne Vaillancourt, le 15 novembre dernier. Notre méconnaissance de la « séquence » d’agression chez le perroquet est en grande partie responsable de la mésentente et de la disharmonie flagrantes entre l’humain et son oiseau. Johanne Vaillancourt s’emploie à réconcilier les deux parties en opérant une plongée dans l’éthologie du perroquet (étude de ses comportements dans son milieu naturel) et en remuant le terreau même dans lequel l’agression puise son tonus et son suc vénéneux.
Même si notre perroquet nous adore, il peut sous le coup d’une impulsion subite, nous semble-t-il, nous pincer jusqu’au sang.
Si c’est une réaction de défense, c’est qu’il nous a assimilé, ne serait-ce que l’espace d’une seconde, à un prédateur, et que nous ne lui avons pas laissé la possibilité de fuir non plus.
C’est à nous de ne pas lui tailler les plumes des ailes, ni d’avoir de geste de prédateur (comme poser brusquement notre main sur son dos) pour ne pas provoquer de cuisantes réactions dont le perroquet n’est évidemment pas maître puisqu’elles sont régies par l’instinct de proie.
Si notre perroquet est élevé à la main (EAM) et donc « imprégné » à l’humain, il nous considère comme un congénère avec lequel il peut entrer en compétition.
Si la résolution d’un conflit (comportement agonistique) connaît une issue sanglante, c’est qu’à notre propre ignorance de la séquence d’agression s’ajoute celle du perroquet, qui, séparé de ses parents biologiques dès son plus jeune âge, est « dissocialisé » et n’a pas appris les codes sociaux permettant de résoudre ce conflit au mieux de ses intérêts.
Car dans l’éthologie du perroquet, l’agression ne se résume pas à la simple action de mordre. Elle commence dès la parade d’intimidation qui est cruciale pour la suite des évènements. Lors de cette « phase appétitive », l’oiseau commence par menacer en paradant et en démontrant sa prestance : il hérisse ses plumes, se dandine, écarte légèrement ses ailes, dilate ses pupilles…
Cette parade se veut intimidante et dissuasive, mais si le rival ne cède pas la place, elle va s’intensifier et devenir « ostentatoire »: le perroquet menaçant ébouriffe alors ses plumes, bat des ailes, ouvre le bec pour bien mettre son arme en évidence et amplifie ses vocalisations de manière spectaculaire. A ce stade, si l’adversaire ne bouge pas (ou ne comprend toujours pas), notre « terminator à plumes » passe à l’offensive, et croque.
Dans la nature, l’agression entre congénères est « ritualisée », elle aboutit donc très rarement à la morsure et à la blessure. Comprenant parfaitement le langage de l’intimidation, l’opposant se « dérobe » généralement à temps, ce qui permet au perroquet menaçant d’atteindre sa « phase d’apaisement » sans passer par la « phase consommatoire » de la morsure. A nous de savoir reconnaître ces signaux avertisseurs, dans le contexte de la captivité, pour nous dérober à temps et savoir apaiser rapidement notre compagnon belliqueux.
Le perroquet imprégné qui n’a pas appris à ritualiser un affrontement en cas de conflit avec un congénère risque de réagir instinctivement sous l’effet de la peur ou de la contrariété. Il saute alors la phase d’intimidation pour passer directement à la « riposte » ou morsure. Il devient alors imprévisible et difficile à contrôler.
Qu’elle soit un mécanisme de défense ou un affrontement ritualisé, l’agression est une tentative de mise à distance du prédateur ou du congénère. Mais dans le cadre de la captivité, une troisième forme d’agression s’est développée. Il s’agit de l’agression « instrumentalisée ».
Le perroquet imprégné considère alors l’humain comme un congénère, et va utiliser la morsure comme un moyen de communication non pas simplement pour éloigner son maître (quand il ne veut pas monter sur la main par exemple), mais au contraire pour attirer son attention et le maintenir près de lui. En effet, notre réaction après une morsure (hurlements, gesticulations, grimaces, poursuite…) est toujours extrêmement attrayante et distrayante pour un perroquet : nous lui accordons de l’attention. Cette forme d’agression, la plus dangereuse parce que la plus imprévisible, n’existe qu’en captivité avec un perroquet imprégné.
On comprend dès lors pourquoi agresser son maître, dans la représentation mentale du perroquet, ne signifie pas le haïr pour autant. On comprend également dans quelle mesure une agression non ritualisée (sans phase d’intimidation) et instrumentalisée (communication intraspécifique en captivité) peut avoir lieu entre un perroquet et son maître très unis par ailleurs.
Pour réduire considérablement à l’avenir le nombre de ces agressions préoccupantes, il faudrait donc dans un premier temps laisser le soin aux parents perroquets d’élever leur progéniture (socialisation « primaire ») et utiliser la méthode EAM uniquement pour un sauvetage, comme c’est le cas pour tous les autres animaux. La socialisation à l’homme (en tant qu’espèce amie et non en tant que congénère) n’interviendrait que dans un second temps.
Cependant, la prévention n’est plus de mise si le comportement d’agression est installé et bien enraciné. Si l’on a du mal à démêler l’élément déclencheur du comportement d’agression, en d’autres termes, si l’on ne peut pas supprimer le mal à la racine, on peut tout de même agir sur ses symptômes. On peut tenter de supprimer la « mauvaise » habitude en provoquant son « extinction ». En refusant de manière constante au perroquet les manifestations d’attention que lui prodiguait ce comportement, il finira de guerre lasse par l’abandonner.
Mais la mauvaise habitude aura beaucoup plus de chance de disparaître si elle est remplacée par une « bonne » habitude qui sera à son tour constamment encouragée et récompensée. A nous de trouver et de repérer une action ou une attitude propre à notre oiseau (précédant l’attaque) susceptible d’être renforcée. Autrement dit, c’est l’association de deux méthodes, celle de l’extinction (approche comportementale) et celle du renforcement positif (approche cognitive), qui se révèlera véritablement efficace à la longue.
La réaction de défense contre le prédateur et l’affrontement avec un congénère sont inscrites dans l’éthologie du perroquet et ne sont en aucun cas des troubles du comportement. L’instinct de fuite et l’évitement mutuel sont respectivement les premières réactions du perroquet dans ces situations données, et la morsure est toujours le dernier recours. Mais l’agression instrumentalisée est un comportement acquis en captivité qui menace fortement l’entente et la communication du perroquet avec son maître. L’entreprise d’un déconditionnement associée à l’apprentissage d’un nouveau comportement sont, selon Johanne Vaillancourt, une alliance efficace pour éradiquer ce genre de dérive.
Source : Christine
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