Danse avec les ours
Personne n’est indifférent à l’ours. La vérité est que nous nous construisons avec et contre lui depuis toujours, en endossant sa représentation aveuglément et souvent sans discernement, comme une seconde peau.
Durant la Préhistoire, l’homme côtoie entre autre le fameux ours des cavernes, mais ne le chasse pas (ou très peu). Tout porte à croire qu’il voit en lui, plutôt qu’une proie ou un butin, une force protectrice ou guérisseuse pour les vivants, et un guide ou un passeur pour les âmes des défunts.
Durant l’Antiquité, l’homme ne considère plus l’ours comme un être supérieur mais comme un égal que l’on considère avec estime. Admirant sa force et son courage, l’homme veut s’approprier les qualités guerrières de l’ours en l’adoptant comme emblème sur ses armoiries ou en se mesurant avec lui dans un combat à la loyale. Ainsi, chez les Germains, combattre un ours à mains nues faisait partie du rituel initiatique pour devenir un homme.
Au milieu du Moyen-Age, en Europe, revirement de sentiments. Le culte voué à la force et à la puissance de l’ours est vu désormais comme une adoration païenne que le Christianisme veut éradiquer. La fête de la Chandeleur (appelée parfois la Chandelours) vient se substituer à la fête de l’Ours. On célébrait en effet la sortie de l’ours de sa tanière comme un renouveau printanier et comme une promesse de fertilité. L’ours brun est déchu de son statut de roi des animaux, et incarne désormais des vices comme le péché de gourmandise ou celui de la luxure. Car on lui prête une attirance lubrique pour les jeunes filles qu’il enlève et qu’il viole, ses victimes donnant ensuite naissance à des êtres mi-homme, mi-ours…
Cette désacralisation de l’ours entraîne son massacre systématique pour les siècles à venir. Elle nous amène peut-être à le mépriser, mais pas à nous en désintéresser et surtout pas à nous en détacher. Car une croyance est ancrée au tréfonds de notre être, celle de l’existence d’un lien de parenté entre l’ours et l’homme. Autrefois, l’ours partageait les mêmes cavernes que l’homme. Comme nous il est omnivore, il utilise ses pattes comme des mains pour manger les baies, et comme nous, il adopte la station debout avec une aisance troublante.
A partir du milieu du Moyen-Age, l’ours est vu en Europe comme un double de l’homme, mais comme un double rival inquiétant et incontrôlable. Ce qui explique que l’homme ait tant à cœur de maîtriser et dompter cette part obscure et bestiale de lui-même, en le tuant, en le domptant en faisant de lui un animal de cirque ou en le mettant à mort rituellement dans des mises-en-scènes carnavalesques.
Mais à partir du XX ème siècle, nouveau coup de théâtre, l’ours honni et jugulé se métamorphose en peluche enfantine et attendrissante. Le président des Etats-Unis Theodore Roosevelt ayant refusé de tuer l’ourson qu’on lui présentait lors d’une partie de chasse, le Teddy’s bear est né, permettant à des générations d’enfants de se construire en surmontant leurs peurs et leurs angoisses, rassurés dans les bras de leur ours en peluche.
A présent, la survie de l’ours est menacée. Maintenant qu’il est en danger, le remord nous prend, l’inquiétude nous étreint et nous questionne. Nous faisons de sa protection un enjeu planétaire, comme si notre avenir même était en jeu. Mais comme toujours avec l’ours, les passions couvent sous la braise, et certains programmes de réintroduction en milieu naturel ont bien du mal à s’imposer…
Entre dévotion et mépris, entre haine et passion, notre relation avec l’ours est une histoire d’amour que nous ne saurions renier. Nous n’avons pas fini de danser ce tango passionnel, avec ses rapprochements et ses esquives, ses reculs et ses étreintes, et malgré la disparition des croyances populaires balayées par la connaissance scientifique, l’ours n’a pas fini de nous intriguer. Car l’hivernation de l’ours demeure encore un mystère pour nous. C’est en effet le seul mammifère hibernant (seuls, l’ours brun, l’ours noir et l’ours à collier hibernent)) sans perdre une once de muscle. Il ne puise que dans ses réserves de lipides pour passer l’hiver. Les chercheurs scientifiques se prennent à rêver… Comment ne pas y voir d’hypothétiques ou futures applications humaines pour lutter contre la fonte musculaire causée par l’alitement de longue durée, ou bien encore pour lutter contre l’obésité ? L’ours n’aurait-il donc pas fini de nous bercer… d’espoir et d’illusion ?
Sources :
Espèces d’Ours !, l’album de l’exposition
L’ours. Histoire d’un roi déchu, Michel Pastoureau, Le Seuil
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