Cacatoès, outil et compagnie
Figaro est un cacatoès de Goffin né au centre de biologie cognitive de l’université de Vienne.
Gourmand et amateur de bâtonnets de bois, il mène une vie sans histoire, rythmée par les jeux avec ses congénères, et les tests d’intelligence récompensés par une friandise proposés par le personnel du centre.
Mais voilà qu’un beau jour, Figaro, trois ans et toutes ses plumes, prend l’initiative de passer un de ses chers bâtonnets à travers le grillage pour ramener à lui une noix située hors de sa portée. Stupéfaction dans le département, car contre toute attente, Figaro vient d’utiliser un outil…
En quoi est-ce une première ? Car depuis les années 60, on sait que l’homme n’est pas le seul à se servir d’outils. Les singes le font dans leur milieu naturel, comme le gorille par exemple, qui se sert d’un bâton pour sonder la profondeur d’un marécage et assurer son équilibre. Certains oiseaux comme les corbeaux de Nouvelle-Calédonie sélectionnent ou découpent à la taille requise des brindilles à terminaison recourbée pour pouvoir hameçonner et pêcher des larves cachées tout au fond de l’écorce d’un arbre mort.
Mais rien de tel n’avait encore été observé chez les perroquets. En captivité, même Alex, le gris du Gabon compagnon de recherche d’Irène Pepperberg dont les extraordinaires capacités cognitives ne sont plus à démontrer, n’a jamais manifesté la moindre attirance ni la moindre compétence pour le maniement de l’outil.
Pourtant, Figaro ne semble pas être le seul pensionnaire du centre à manier le bâton. Un kéa de Nouvelle-Zélande est capable d’introduire un bâton dans un tube pour faire tomber la friandise et la récupérer. Peut-on dire pour autant qu’il fait usage d’un outil ?
Comme tous les perroquets du centre, ce kéa adore jouer. Il ne se lasse pas d’emboîter des objets les uns dans les autres. Les combinaisons d’insertion exercent sur lui un véritable attrait ludique, et c’est bien ce qu’il fait dans le cas qui nous intéresse. Pour obtenir ce qu’il veut, le kéa utilise une compétence qui lui est familière en insérant un objet dans un autre, le bâton dans le tube. C’est déjà faire preuve d’une intelligence complexe, et la découverte du maniement de l’outil n’est pas possible sans l’acquisition préalable des combinaisons ludiques… Mais Figaro fait davantage en innovant totalement. En ratissant sous le grillage à l’aide de son bâton, Figaro fait preuve d’inventivité car il utilise une technique qu’il n’a jamais expérimentée auparavant, même par jeu. Notre cacatoès perfectionne presqu’immédiatement sa nouvelle acquisition puisqu’il entreprend de fabriquer lui-même ses bâtons en arrachant des languettes de son perchoir (puis d’une planche mise à disposition) et sélectionne leur longueur en rejetant celles qui sont trop courtes ou en redécoupant celles qui sont trop longues. Un artisan est né…
Restait à savoir si cette acquisition toute fraîche pouvait se transmettre par apprentissage. Douze congénères sont sélectionnés : six regardent Figaro lui-même opérer tandis que les six autres assistent au déroulement de l’opération menée à bien par des aimants, sans acteur visible. Les six perroquets qui ont suivi le processus en l’absence de Figaro n’ont pas répété le geste et n’ont rien appris. Parmi les six qui ont regardé Figaro opérer, trois mâles ont réitéré le comportement. Mis ensuite en présence d’une planche « à découper », Dolittle a spontanément détaché et taillé ses « outils», Kiwi a eu besoin de regarder Figaro faire pour se lancer, et Pipin a boudé. Plus étonnant encore, nos deux vainqueurs ont gagné en efficacité puisqu’ils ont balayé la noix d’un seul coup là où Figaro pratiquait plusieurs ratissages successifs.
L’aventure de Figaro nous montre que l’usage et la fabrication d’outils peut s’acquérir chez les perroquets, se transmettre et même s’améliorer. Le comportement de Figaro est une surprise, mais relative si l’on réfléchit bien. Car les combinaisons d’objets auxquelles s’adonne quotidiennement avec excellence notre cacatoès de Goffin sont un terrain très propice à l’émergence de l’artisanat d’outils. De plus, il existe tout de même dans la nature un cacatoès noir, qui produit un son particulier pour attirer les femelles et tenir ses rivaux à distance en frappant avec un bâton sur le tronc creux des arbres…
Alice Auersperg et ses collaborateurs de l’université de Vienne envisagent à présent de poursuivre leurs investigations sur le terrain en allant observer les comportements cognitifs du cacatoès de Goffin (en particulier les différences entre mâle et femelle) dans son milieu naturel, au cœur des forêts d’Indonésie, histoire d’enrichir la résonance des recherches en laboratoire d’un écho vivifiant et convaincant.
Sources :
http://www.lemonde.fr/
Cervelle d’oiseau, France 5
http://www.preemodj.com/
Laisser un commentaire