Sur la piste des grands singes, une aventure partagée
Sur la piste des grands singes est une exposition « temporaire » à la saveur particulière, car elle ne fait pas que se tenir au Muséum d’histoire naturelle de Paris.
Littéralement la chair de sa chair, l’exposition présente au public les retours d’expédition en Afrique de Sabrina Krief et Shelly Masi, maîtres de conférence au Muséum et primatologues, ainsi que le retour d’expédition en Malaisie de Marc Ancrenaz, vétérinaire et spécialiste des orangs-outans.
Sabrina Krief, l’un des deux commissaires principaux de l’exposition, nous fait partager en collaboration avec ses collègues leurs observations respectives des chimpanzés, gorilles et orangs-outans récoltées sur le terrain dans le parc de Kibale en Ouganda, dans le parc de Dzanga Ndoki en République Centrafricaine ainsi que dans la plaine fluviale du Kinabatangan en Malaisie. Ces primatologues ont à cœur de nous faire partager leur point de vue en mettant en scène de nombreux spécimens naturalisés sortis tout exprès de leur réserve ou créés spécialement pour dialoguer avec les témoignages que représentent leurs propres films et clichés de terrain.
Les trois effigies de gorille, chimpanzé et orang-outan sculptées à taille réelle avec un très grand réalisme qui nous accueillent dès l’entrée orientent la perspective des trois premières parties de l’exposition. Nous sommes invités à dégrossir, tel un sculpteur, la matière brute de nos connaissances approximatives, de nos peurs et de nos fantasmes pour découvrir et mettre à nu les contours vrais des grands singes, désencombrés des scories qui les dénaturent.
C’est très souvent à l’état de cadavre que l’homme de la Renaissance découvre les premiers spécimens de chimpanzés et d’orangs-outans, rapportés d’expéditions lointaines.
Il les étudie alors minutieusement, en les pesant, en les mesurant, en les dessinant et en les disséquant. En les dépouillant ainsi jusqu’à l’os, l’homme de science de la Renaissance ne cesse de vouloir toucher du doigt la troublante ressemblance anatomique et morphologique qui l’unit à l’homme, tout en prenant bien soin toutefois de maintenir la barrière des espèces pour préserver la suprématie humaine.
Mais au fil des siècles, nos connaissances s’affinent et il est désormais acquis que le grand singe n’est pas un « pygmée », ni un être « hybride » à mi-chemin entre le petit singe et l’homme, ni notre ancêtre non plus. Primates nous sommes tous deux, cousins nous sommes. Mais en dépit des apparences, il semble que la ligne de clivage ne soit pas aussi nette que les inconditionnels de classification que nous sommes le voudraient. Car le chimpanzé est plus proche génétiquement de l’homme que du gorille…
Au XX ème siècle, cette ressemblance nous affecte encore et nous inquiète plus que nous ne voudrions l’admettre ; notre imaginaire cinématographique parle pour nous. Découvert seulement au XIX ème siècle, le gorille apparaît dans King Kong (1933) comme un géant violent, bestial et sanguinaire qui menace l’homme. La Planète des singes, quant à elle, suggère un avenir où la gente simiesque supplante celle des hommes en réduisant cette dernière en esclavage…
La quatrième partie est le cœur de l’exposition. Après l’homme et le singe, une troisième entité entre en scène, la forêt tropicale. C’est en étouffant nos pas, et non en conquérants, que nous sommes invités à pénétrer dans cet habitat à la biodiversité très riche que se partagent les primates et les populations locales.
Nous sommes invités à mettre nos pas dans ceux des primatologues et c’est au travers de leurs jumelles et objectifs photographiques que nous observons les singes évoluer dans leur milieu naturel. Comme les primatologues, nous devons aller à la rencontre des singes en maintenant une certaine distance avec eux, faire preuve de discrétion et accepter de s’effacer pour ne pas les déranger ni les affecter.
Le temps n’est plus où les explorateurs-chasseurs arpentaient le terrain en prélevant des spécimens et en les extirpant de leur milieu sauvage pour aller garnir les zoos ou les laboratoires de recherche.
Depuis Dian Fossey, Jane Goohall et Biruté Galdikas, les trois « anges » formés par le paléo-primatologue Louis Leakey, les primatologues de terrain préconisent désormais l’observation de longue durée in situ pour évaluer les comportements et les capacité cognitives des grands singes. Le degré de détermination des chercheurs se mesure d’ailleurs à ce qu’ils sont capables d’endurer pour parvenir à leurs fins : les innombrables heures passées à découvrir où se cachent les singes, celles passées à les habituer à leur présence sans leur proposer de nourriture ni entrer en contact avec eux (un processus d’ »habituation » peut demander parfois 10 ans) et enfin celles passées à les observer pour découvrir et confirmer un nouveau comportement tout en collectant fèces et urine, trempés jusqu’aux os et livrés en pâture aux insectes…
Immergés dans cette forêt reconstituée, aux ambiances sonores et aux jeux de lumière restitués, en découvrant les singes en train de confectionner leur nid de feuilles pour la nuit, d’élaborer leur menu quotidien à partir des quelques trois cents végétaux à leur disposition, de tisser des liens sociaux complexes et des liens familiaux très fort, d’utiliser des outils pour casser des noix ou attraper des fourmis, et d’exploiter les vertus thérapeutiques des plantes (comme l’a mis en lumière Sabrina Krief lors de ses expéditions), nous sommes pris d’un fort sentiment de sympathie à l’égard de nos cousins simiesques dont le quotidien nous semble étrangement familier. Et ce sentiment se mue en compassion lorsque l’exposition nous fait prendre conscience de leur vulnérabilité et de la menace d’extinction qui pèse lourdement sur eux.
En façonnant notre regard sans relâche, en nous faisant déambuler et partager le quotidien des grands singes comme celui des primatologues, l’exposition attend de nous un véritable cheminement intérieur et une conversion du cœur, pour adhérer à sa cause. Car le Muséum d’histoire naturelle de Paris n’est pas simplement impliqué dans la recherche sur le terrain, il est tout autant, comme nous le verrons, partie prenante dans la préservation et la protection des grands singes. C’est là l’intonation vibrante qui donne sa force et son authenticité à l’exposition.
Source : Christine
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