Entre science et mythe, comment le yéti perd ses poils mais conserve toutes ses dents
Les apparitions épisodiques du légendaire yéti font partie intégrante de l’histoire de l’Himalaya, en particulier du Népal et du Tibet. Créature immense et hirsute dotée d’une force prodigieuse, à mi-chemin entre l’homme et le singe, inspirant souvent une terreur sacrée, le yéti a toujours été l’objet d’une grande vénération chez les populations locales. Mais depuis le XX ème siècle, il suscite également une foi sans bornes chez les adeptes de la cryptozoologie. Croyant fermement en la réalité de l’existence de cet animal non répertorié, en dépit de l’absence de preuves scientifiques irréfutables, ces adeptes se donnent pour mission d’amasser et d’étudier religieusement les témoignages et indices existant déjà. Parallèlement, ils n’ont de cesse de parcourir le monde espérant ainsi, sinon voir en face l’objet de leur quête quasi mystique, du moins récolter une nouvelle moisson de témoignages et de signes.
Après avoir longtemps boudé l’étrange créature dont la réalité paraissait peu crédible, la science décide enfin de prendre le mythe à bras-le-corps. En 2012, un généticien britannique, Brian Sykes, décide de consulter les archives du zoologue Bernard Heuvelmans (considéré comme le fondateur de la cryptozoologie) léguées au musée zoologique de Lausanne. Avec l’aide de son directeur Michel Sartori, il projette de lancer une analyse ADN mitochondriale de tous les échantillons de poils de présumés yétis et autres bigfoots présents à travers le monde que l’on voudra bien lui confier. Une trentaine d’échantillons vont être sélectionnés et analysés rigoureusement.
Les résultats tombent le 2 juillet dernier, publiés dans la revue britannique Proceedings of the Royal Society. La plupart des échantillons étudiés révèlent une supercherie : poils de vaches, chevaux, chèvres, ours bruns ou noirs, raton-laveurs…et même humains.
Mais deux échantillons créent la surprise : récoltés l’un dans le Tibet indien à Ladakh, et l’autre dans une forêt de bambou au Bouthan, ils révèlent un ADN en tous points identique à celui d’une mâchoire d’ours polaire du Pléistocène (trouvée au Svalbard, à l’Est du Groenland), ours que l’on croyait éteint depuis 40 000 ans ! Sans doute, selon une hypothèse, le résultat d’une hybridation entre une ourse polaire et un ours brun apparue il y a 150 000 à 200 000 ans près du pôle Nord. Cet ours hybride aurait par la suite migré vers l’Himalaya…
La science a donc rendu son verdict, un ours préhistorique serait à l’origine de la légende du yéti. Ce qui concorde d’ailleurs avec les diverses appellations autochtones qui signifient « homme sauvage », « ours rocheux », ou bien encore « homme-ours ». Pulvérisée donc la vision occidentale du primate géant à visage d’homme immortalisé dans l’album d’Hergé intitulé « Tintin au Tibet ». Grand ami de Bernard Heuvelmans, Hergé s’était inspiré de ses dires et avait dessiné un yéti très humain, notre « frère » en quelque sorte…
Pulvérisée ? Pas tout à fait… Un mythe a toujours un point d’ancrage dans la réalité. En 1935, le professeur Ralph von Koenigswald est intrigué par les « os de dragon » utilisés couramment dans les pharmacies traditionnelles chinoises pour la préparation de certains remèdes. En les examinant de plus près, il découvre qu’il s’agit de dents de primate presque deux fois plus grandes que celles d’un gorille. Datant du Pléistocène inférieur, ces dents révèlent l’existence très ancienne du plus grand primate jamais découvert jusqu’à nos jours, le Gigantopithecus blacki. Pouvant mesurer jusqu’à 2,50 mètres de haut et peser jusqu’à 300 kilos, ce géant vivait en milieu arboré tropical humide dans le Sud de la Chine et au Nord du Viêt-Nam, se nourrissant de fruits, noix et bambous.
Le yéti tel que nous l’avons rêvé a donc bel et bien existé. Reste à savoir maintenant si le genre Homo a pu croiser son chemin… Cette question maintient les paléontologues en haleine depuis une vingtaine d’années sur le site de Longgupo dans la province du Chonhqing (daté de 1,4 à 1,8 millions d’années) ainsi que sur le site de Mohui dans la province du Guangxi (daté de 1,8 millions d’années). Finalement, une nouvelle série de fouilles sur le site de Longgupo a mis au jour des assemblages de dents de rhinocéros et d’éléphants ainsi que des outils rudimentaires en os et en pierre aux côtés de vestiges dentaires du Gigantopithecus blacki. L’homme (homo ergaster) et le singe fossile semblent donc bien avoir coexisté à proximité du fleuve Yangtsé.
Etonnamment, en se livrant à la science, le légendaire yéti n’a perdu en rien sa capacité à exister à nos yeux ni celle à nous faire rêver. La génétique et la paléontologie lui ont, au contraire, donné corps en redessinant ses contours dans l’espace et en reculant le face à face tant désiré dans le temps. Mais elles n’ont altéré en rien notre enthousiasme à son égard. Et rien n’empêchera la foi de continuer à déplacer les montagnes. Si un ours préhistorique a pu survivre à l’abri du regard des hommes durant des centaines d’années, rien n’empêche d’imaginer qu’un gigantopithèque ait pu faire de même…
Sources :
le Monde, 9 juillet 2014
Dossier pour la science, n°86
http://fr.wikipedia.org/
Bestiaire imaginaire, Julie Delfour, Seuil
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