La pollution lumineuse, ou l’effet papillon sur la faune nocturne
Rien ne nous paraît aussi légitime que de percer l’obscurité de la nuit à l’aide du faisceau d’une lampe électrique pour nous permettre d’évoluer dans le noir avec confort et en toute sécurité.
A priori, personne n’a l’idée de remettre en cause l’éclairage puissant du phare guidant les navires qui abordent le littoral, ni celui des phares de voiture prévenant les collisions ou les sorties de route, ni le halo diffus produit par l’éclairage urbain dissuadant les vols ou les agressions. Et pourtant, avec l’introduction de l’éclairage artificiel dans l’environnement nocturne, nous modifions en toute innocence l’équilibre initial de l’alternance du jour et de la nuit sans nous douter des répercussions sur les animaux nocturnes. Prenant conscience de ce phénomène dans les années 80, nous commençons tout juste à suspecter l’ampleur de cette « pollution »et à découvrir ses effets inattendus.
Quoi de plus banal et de plus anodin en apparence que le spectacle d’un nuage d’insectes et de papillons de nuit tourbillonnant sans répit autour d’un lampadaire urbain la nuit ? Et pourtant, ces mêmes insectes et papillons sont retrouvés morts au petit matin dans le lampadaire ou à proximité, parce qu’ils se sont épuisés, déshydratés ou encore brûlés. Multipliés par le nombre de lampadaires présents sur la planète, les insectes et papillons meurent par milliers chaque nuit, pris au piège de l’éclairage artificiel.
Car habituellement, les papillons de nuit utilisent la lumière des étoiles pour se diriger dans le noir. Or de plus en plus d’étoiles deviennent invisibles à leurs yeux comme aux nôtres en raison de la luminosité anormale et croissante des espaces urbains et ruraux. Désorientés, ils sont attirés alors par les sources de lumière disponibles, autrement dit, les lampadaires urbains. Trompés et piégés, les papillons adoptent une trajectoire de vol en spirale au lieu de conserver une trajectoire rectiligne. Ils sont dès lors peu ou prou condamnés.
Les oiseaux migrateurs accomplissent leur périple en majeur partie la nuit. A l’instar des insectes et papillons nocturnes et pour les mêmes raisons, nombre d’entre eux subissent un sort tragique en s’épuisant autour de la lumière des phares ou en entrant directement en collision avec les édifices eux-mêmes. Résultant de la modification de l’alternance initiale du jour et de la nuit, la pollution lumineuse manifeste un effet caché, l’effet papillon, qui se révèle extrêmement néfaste sur les individus.
Semblable au battement d’aile d’un papillon, l’intrusion de la lumière artificielle au sein de la nuit entraîne une succession de réactions en chaîne qui engendrent de réelles perturbations à l’échelle non plus simplement des individus, mais des populations animales. C’est en effet la pérennité d’une espèce toute entière qui est menacée lorsque les petites tortues de mer, trompées par la pollution lumineuse, se dirigent tout droit après l’éclosion vers les lumières des terres au lieu de se tourner vers la zone normalement plus claire de la mer. Privées ainsi de nourriture et de protection, elles meurent rapidement. Les oiseaux marins juvéniles tels que les jeunes pétrels subissent un sort analogue lorsque ils se dirigent lors de leur premier envol vers la lumière des villes au lieu de s’orienter vers la mer qui seule pourra leur permettre de survivre en trouvant leur nourriture.
L’intrusion de la lumière artificielle dans l’environnement nocturne peut également compromettre la reproduction de certaines espèces en les repoussant et en inhibant certains de leurs comportements. En présence de lumière, les hérissons ont tendance à se cacher et à diminuer leur activité pour échapper à leurs prédateurs. Mais en contrepartie, ils s’alimentent moins bien, ce qui entraîne une détérioration de leur condition physique. Cet affaiblissement affecte également le comportement reproducteur.
L’irruption de lumière intrusive inhibe également le chant nuptial du mâle de la grenouille rousse qui aura donc moins de chance d’attirer l’âme sœur. Même lorsque la rencontre a lieu, la femelle est moins regardante sur le choix du partenaire et préfère s’accoupler rapidement pour échapper aux prédateurs éventuels. Le mécanisme de la sélection naturelle n’a pas le temps de faire son oeuvre et compromet ainsi le succès de la reproduction à plus ou moins long terme.
La cascade d’effets secondaires ne s’arrête pas là puisque la pollution lumineuse peut également avoir des effets insoupçonnés à l’échelle de tout un écosystème.
Elle peut provoquer une compétition inter-espèces là il n’y en avait pas, comme chez les chauves-souris (chiroptères) par exemple. Les pipistrelles communes ont appris à tirer parti des éclairages urbains attirant les insectes pour chasser efficacement. Tandis que les petits rhinolophes, espèce photosensible, fuient la lumière en désertant les lieux où paradoxalement ils seraient plus à même de trouver à se nourrir, et s’en trouvent désavantagés et affaiblis.
La pollution lumineuse peut donner lieu à un chevauchement de territoire inattendu en mettant en compétition les faunes diurne et nocturne. L’étourneau sansonnet est un oiseau diurne qui s’est très bien adapté à l’éclairage urbain artificiel. En prolongeant son activité (déplacements, chants, cris) la nuit, il devient invasif en usurpant les niches écologiques occupées habituellement par des animaux nocturnes.
L’ampleur réelle de l’impact « domino » de la pollution lumineuse sur les populations animales et les écosystèmes est encore très mal connue et est actuellement l’objet de recherches plus approfondies. Il est toutefois à craindre qu’en jouant le rôle de piège écologique pour les insectes et qu’en occasionnant leur sur-prédation, la pollution lumineuse fragilise toute une chaîne alimentaire. S’il est tout à fait illusoire d’envisager un retour à l’alternance initiale du jour et de la nuit en supprimant tout éclairage artificiel nocturne, il est cependant parfaitement raisonnable de penser qu’une modification même modeste des conditions actuelles d’éclairage nocturne pourrait prévenir et diminuer l’effet de pollution et les perturbations qui lui sont liées.
Orienter les faisceaux vers le sol plutôt que vers le ciel, baisser l’intensité de la lumière, ne créer de nouvelles zones d’éclairage que si nécessaire et activées seulement par des détecteurs de présence, opter pour un éclairage discontinu avec des périodes de noir, privilégier certains spectres lumineux en évitant la lumière blanche, sont autant de possibilités à étudier au cas par cas et selon les espèces à protéger pour désenfler « l’ouragan » écologique annoncé.
Enfin, repenser nos éclairages nocturnes dans une perspective environnementale ne serait pas simplement une action désintéressée de préservation animale, puisqu’elle emboîterait le pas à notre politique humaine d’économie d’énergie et de développement durable.
Sources :
http://fr.wikipedia.org/
Espèces, n°6
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