Le parasitisme de couvée chez le coucou, un fléau ? (deuxième partie)
Nous avons vu, dans un précédent article, que le parasitisme de couvée chez le coucou exacerbait aussi bien l’acuité visuelle du coucou parasite que celle de son hôte, chacun travaillant à faire triompher ses propres gènes.
Il s’agissait dans un premier temps de faire accepter ses oeufs pour l’un, tandis que pour l’autre, la priorité était de les détecter pour les expulser.
Se pose alors une question de taille. Comment se fait-il qu’une mère à l’œil suffisamment exercé pour discerner un oeuf mimétique ne soit pas à même de reconnaître que l’oisillon monstrueux qui est dans son nid n’est pas le sien ? Comment l’oisillon arrive-t-il à la convaincre de le nourrir ?
Des travaux récents menés par Naomi Langmore et ses collaborateurs à l’Université de Camberra en Australie sur le coucou de Horsfield viennent nous livrer la clé de l’énigme.
Contrairement aux œufs du coucou gris d’Europe, ceux du coucou australien revêtent toujours le même aspect : petits avec une coquille brun-rosé mouchetée de brun-rouge. Ils ne sont en général jamais rejetés par les hôtes car ils ressemblent spontanément assez bien aux leurs. C’est après l’éclosion que la difficulté apparaît pour le coucou de Horsfield. C’est à ce moment-là que le passereau qui sert d’hôte est en mesure de détecter la présence de l’intrus et de refuser de le nourrir.
Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas un critère visuel qui fait fléchir la balance de son côté, mais un critère sonore.
Une mère reconnaît ses petits biologiques à leurs cris, et l’oisillon qui ne donne pas la bonne note n’est pas nourri.
Or on s’est aperçu que l’oisillon du coucou de Horsfield élevé dans un nid de mérion superbe, maluridé principalement parasité, émettaient les mêmes cris de quémandage que les oisillons de son hôte.
L’hypothèse d’une imitation est rapidement écartée dans la mesure où le cuculidé australien, comme son cousin européen, élimine aussitôt né la totalité des œufs de la nichée de l’hôte.
Est-ce le fruit d’un heureux hasard ou bien une spécialisation liée à l’évolution ? Une expérience fut menée pour tenter de répondre à cette question.
En transférant artificiellement des œufs de coucou pondus originellement dans un nid de mérion superbe dans un nid d’acanthize à croupion beige et dans le nid d’une autre espèce de passereau, tous deux couramment parasités par le coucou australien, on s’est rendu compte que les oisillons tout juste nés poussaient des cris ressemblant d’abord à ceux du mérion superbe, mais que ceux-ci se modifiaient ensuite graduellement pour ressembler en l’espace de quelques jours à ceux d’une nichée de leurs nouveaux hôtes respectifs.
En fait, si le mérion superbe est parasité en priorité (hôte primaire), c’est en raison de la similarité des cris de sollicitation qui offre toutes les chances à l’oisillon rapporté d’être nourri. L’expérience montre également que cette similarité n’est pas le résultat d’une spécialisation acquise sur le long terme auprès d’un hôte particulier, mais plutôt la manifestation d’un apprentissage par tâtonnement. L’oisillon semble en effet capable d’ajuster la fréquence et l’intonation de ses cris de quémandage aux réactions des parents adoptifs de manière à reproduire celles qui stimulent un nourrissage parfaitement satisfaisant.
La plupart des oiseaux parasités sont donc capables de rééquilibrer la balance face à leur « agresseur » en discernant visuellement l’œuf intrus ou en percevant les fausses notes du « chant » de sollicitation de l’oisillon étranger.
Comment se fait-il alors que la corneille noire, réputée pour son intelligence, ne semble pas s’apercevoir de la fraude et accepte aveuglément de couver et de nourrir le petit du coucou geai ?
Une première raison peut expliquer en partie cette attitude. L’oisillon illégitime ne tue pas la couvée de l’hôte. Même si le bébé coucou monopolise sa mère adoptive au détriment d’un ou deux bébés corneilles, le dommage occasionné est beaucoup moins grand que celui causé par le coucou gris ou le coucou australien. Cependant, une chercheuse de l’université d’Ovida en Espagne, Daniela Canestrari, a découvert que lorsqu’il était apeuré ou agressé, l’oisillon du coucou geai émettait une quantité non négligeable de sécrétions noirâtres dont l’odeur peu engageante repoussait les prédateurs tels que les chats sauvages et les rapaces, ainsi que les corneilles.
Si ces dernières s’abstiennent de mettre en place une stratégie défensive envers le parasitisme de couvée, c’est qu’elles y trouvent en fait un avantage.
Sensibles au caractère répulsif des émanations olfactives de l’oisillon intrus, elles en tirent parti pour leur propre couvée.
Le parasitisme se fait alors mutualisme, car la présence d’un coucou geai dans un nid de corneille est toujours la garantie d’une nichée prospère et florissante.
Le parasitisme de couvée chez le coucou n’est pas, comme on le croit souvent de prime abord, une malédiction ou un fléau ravageur qu’il faudrait éradiquer.
C’est plutôt un modèle parmi d’autres mis en place par la nature pour régir une relation d’équilibre entre deux antagonistes.
En constante oscillation sur son point d’équilibre, tel le fléau d’une balance, ce modèle témoigne de l’extraordinaire inventivité dont chacun des adversaires-partenaires doit faire preuve pour se maintenir au fil de leur coévolution.
Sources :
http://fr.wikipedia.org/
http://www.wildtier.ch/
http://www.especes.org/
Le Monde, 26 mars 2014
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