Les larves de la mouche verte (lucilia sericata), ces asticots qui nous collent à la plaie
Si je vous dis asticots, vous me répondrez sans doute putréfaction, décomposition ou excrément. Il semble que la seule idée d’un contact possible avec cette populace fangeuse s’encanaillant dans les bas-fonds infâmes de la société larvaire, capable de vomir une sécrétion liquéfiante sur l’objet de sa convoitise, produise en nous un haut-le-corps, et nous fasse frémir d’horreur autant que de dégoût. La simple évocation d’une charogne infestée de ces larves grouillantes occupées à leur immonde besogne suffit pour nous sentir nous-mêmes souillés, contaminés, infectés.
Malgré notre désir viscéral de mettre le plus de distance possible entre ces représentants peu fréquentables de la gente larvaire et nous, il semble depuis quelques années qu’il soit redevenu de bon ton de s’offrir leur compagnie, et même recommandé de leur offrir le gite et le couvert en certaines occasions, en affichant par là même une hospitalité dérangeante.
Les larves dodues d’un blanc crémeux de la mouche verte répondant au doux nom de lucilia sericata sont nécrophages. Elles ont la particularité de se nourrir exclusivement de tissus nécrosés (composés de cellules mortes), c’est pourquoi la mouche verte pond ses oeufs sur les cadavres ou dans les blessures infectées des animaux ou des hommes.
A première vue, les vilaines blessures infestées de larves observées maintes fois sur les victimes en période de guerre témoignent des conditions d’hygiène déplorables liées au contexte même de la guerre. Et pourtant, les médecins militaires comme Dominique Larrey, par exemple, chirurgien de Bonaparte lors de la campagne d’Egypte, ont très vite constaté que les blessures infestées guérissaient beaucoup plus vite que celles dépourvues d’asticots qui semblaient plus « propres ». Ils ont donc très vite suspecté les indésirables d’être à l’origine de ce redressement spectaculaire.
Tout porte à croire, en effet, que nos petits intrus soient des agents très actifs sur le terrain, mais pas dans le sens où nous l’entendions initialement. Ces larves ne souillent pas la blessure, mais la nettoient au contraire.
Il semble que la sécrétion « digestive » projetée sur les tissus convoités renferme, entre autre, une substance antiseptique qui désinfecte la plaie ainsi que de l’allantoïne qui calme la douleur. Les asticots sont des petits chirurgiens extrêmement précis, puisqu’ils ne s’attaquent qu’aux chairs nécrosées et n’endommagent jamais un tissu sain. Travailleurs à l’endurance remarquable, ils ne s’arrêteront que lorsque la satiété sera atteinte. Enfin, en s’activant jour et nuit, leurs mouvements incessants de va-et-vient sur la plaie stimulent et accélèrent la cicatrisation des tissus en voie de guérison.
L’asticothérapie n’est pas une nouveauté en soi, puisqu’elle est connue depuis l’Antiquité en Europe et qu’elle était utilisée autrefois chez les indiens Maya et chez certains aborigènes d’Australie. Mais l’apparition des antibiotiques avec la découverte de la pénicilline l’avait évincée des pratiques thérapeutiques en vogue. Nous redécouvrons les bienfaits de l’usage médical des larves depuis que certaines bactéries ont développé une résistance aux antibiotiques. Les asticots sont en effet capables de venir à bout d’agents pathogènes résistants tels que le staphylocoque doré ou les streptocoques de groupe A et B.
L’asticot est officiellement un « médicament » depuis 2005 en France. Les larves à usage thérapeutique proviennent d’une culture élaborée en milieu stérile. Enfermées dans des pansements perméables à l’air et humidifiées deux fois par jour, échappant ainsi à la vue du patient, elles sont appliquées sur la plaie à soigner et se mettent aussitôt à l’ouvrage. La plaie est nettoyée en permanence puisque le pansement est changé tous les deux jours pour remplacer les travailleuses repues par de nouvelles recrues.
Ces pansements « vivants » prennent le relais de la médecine conventionnelle lorsque celle-ci se révèle défaillante ou impuissante. Ils font merveille sur les escarres, les plaies infectieuses incurables ou les plaies ulcérées.
Si abjects qu’ils puissent nous paraître au premier abord, nous aurions tort de refuser notre table à ces petits invités dotés d’un appétit d’ogre. Car si dans la nature, ils accomplissent un service de nettoyage hors pair, ces petits boulimiques de la décomposition sont aussi, sans le savoir et pour notre plus grand bien, des acteurs de la réparation et de la reconstruction.
Sources :
http://fr.wikipedia.org/
Le Figaro, 20 janvier 2014
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