La domestication du renard argenté
Depuis des millénaires, l’homme est fasciné par l’animal sauvage et cherche à se l’approprier par l’élevage et la domestication. Depuis 2012, on peut trouver à acquérir via internet des renards domestiqués pour la coquette somme de 6600 euros, papiers, vaccinations et transport compris. Sachant que la détention de renards sauvages est formellement interdite en France, quels sont-ils et d’où proviennent-ils ? Fruit d’une expérience scientifique menée sur le long terme, ces renards-cobayes ont une histoire qui mérite d’être racontée.
Fasciné par le lent processus de domestication qui a transformé sur des milliers d’années le loup en chien, un généticien russe, Dmitri Beliaïev, décide en 1959 de se lancer dans l’aventure de la domestication de renards » sauvages » ,pour étudier le processus évolutif et prouver sa théorie. S’inscrivant contre les idées soviétiques ambiantes du lyssenkisme qui règne en maître à l’époque, à savoir la prédominance et la supériorité des caractères acquis (l’environnement) sur les caractères innés (les gènes), Beliaïev est convaincu au contraire que ce n’est pas en modifiant l’environnement d’un animal sauvage (en le forçant à vivre au milieu des hommes), qu’on modifiera ses caractères innés en transformant par exemple sa défense et son agressivité instinctives en docilité. Il est au contraire persuadé que la sélection et la transmission du caractère docile aux générations suivantes est la condition sine qua non de la domestication, la possibilité pour les animaux de s’adapter au milieu des humains et en même temps la cause des transformations physiologiques observées chez nos animaux domestiques.
Parmi les cent trente renards argentés (version foncée du renard roux) achetés dans des fermes d’élevage d’animaux à fourrure, notre chercheur choisit de faire se reproduire entre eux les renards ayant la distance de fuite la plus faible en présence de l’homme, mimant par là artificiellement la sélection qui a dû se faire naturellement à l’origine avec les loups. L’homme a en effet vraisemblablement cherché à apprivoiser et élever les animaux qui s’enhardissaient à venir rôder le plus près des habitations humaines.
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L’expérience a semblé donner raison au scientifique russe, puisqu’au fil des générations reproduites, le caractère s’adoucit, devient plus agréable, au point d’obtenir une » élite domestiquée » . Certains des renards, en effet, non seulement tolèrent la proximité de l’homme, mais manifestent de la joie en sa présence et réclament ses caresses en geignant. Cette élite représente 18% à la dixième génération, et 80% à la trente-cinquième.
Parallèlement à l’adoucissement du caractère, on observe des transformations morphologiques et anatomiques qui sont le résultat non pas d’une sélection menée par l’homme, mais celui d’une évolution et d’une adaptation naturelle à son nouveau milieu, l’environnement des hommes. Ces transformations sont liées directement à la docilité accrue de leur caractère. Au fil des générations, l’aspect visuel des renards se modifie avec l’apparition de taches blanches dans leur pelage (robe pie), des oreilles qui deviennent tombantes, un museau qui raccourcit, une tête qui devient plus ronde, et une queue qui se tient levée ou enroulée. L’adoucissement de leur caractère s’accompagne en effet d’une baisse de leur agressivité qui provoque une augmentation de la sérotonine (neurotransmetteur). L’augmentation de cette dernière serait à l’origine de ces modifications externes.
Le comportement de ces renards domestiqués change dans le même temps. N’ayant plus à lutter pour leur survie, les cycles de reproduction augmentent et les femelles mettent bas au moins deux fois par an, contre une seule fois pour les spécimens sauvages, au printemps, pour que les petits puissent affronter les rigueurs de l’hiver. Mais il y aurait également une autre explication à ce phénomène, et qui serait cette fois une adaptation naturelle. La colonisation d’un nouveau milieu ne se fait pas sans perte au début. Pour compenser, la nature accélère la maturité sexuelle pour augmenter le rythme des reproductions et pallier cette baisse de la population. La précocité de la maturité sexuelle engendrerait la transmission et le maintien des traits juvéniles à l’âge adulte (pédomorphisme).
L’adoucissement du caractère conjugué à la sécurité que procure le mode de vie domestique engendre une baisse du stress qui se traduit par la conservation du tempérament joueur et affectueux à l’âge adulte, qui est normalement l’apanage des juvéniles. Si le maintien des traits juvéniles et du comportement joueur en quête d’affection ne sont plus adaptés à la survie, ils le sont en revanche à leur nouvel environnement, puisque ces caractéristiques sont très attractives pour les humains, qui vont ainsi rechercher leur compagnie et prendre soin d’eux.
L’expérience de » la Ferme aux renards » est toujours en cours, Ludmila Trut, ancienne collaboratrice de Beliaïev, ayant repris le flambeau à la mort de ce dernier en 1985. Mais le laboratoire expérimental russe connaît de graves difficultés financières depuis les années 90, et tente de les pallier en vendant une partie de ses sept cents protégés à des abattoirs récupérant la fourrure.
En 2012, une jeune Américaine protectrice des animaux, Kay Fedewa, tente de stopper le massacre en mettant tout en œuvre pour que le laboratoire puisse vendre ces « peluches vivantes » uniques comme animaux de compagnie. En France, Jean-François Courreau, responsable du centre de la faune sauvage de l’école nationale vétérinaire d’Alfort, déconseille cependant fortement aux particuliers de s’en procurer, mais s’il est possible théoriquement d’obtenir un certificat de capacité, car pour lui, les conditions de détention d’un renard, même domestiqué, ne sont pas celle d’un chien.
L’expérience scientifique reste au demeurant fascinante, car elle met en lumière la complexité du processus de domestication. Cette dernière n’est pas qu’une histoire de sélection artificielle et d’emprise humaine. L’évolution naturelle affleure toujours en filigrane, prête à reprendre ses droits. La domestication résulte plutôt d’une combinaison savante de sélection artificielle et d’adaptation naturelle, dont l’intelligence humaine a appris à tirer parti.
Sources :
Minizoo n°32, « La domestication-impact sur les espèces »
http://ssaft.com/Blog/dotclear/index.ph … omorphisme
http://www.lefigaro.fr/sciences/2013/02 … ternet.php
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article824
https://www.youtube.com/watch?v=PKyF9IPGEZw
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