Le phasme péruvien de Schulte, Peruphasma Schultei : un phasme pas tout à fait comme les autres
Longtemps installés dans les salles de classe pour permettre aux élèves d’affûter leur sens de l’observation et leur faculté de raisonnement, les phasmes ont fasciné des générations d’écoliers avant d’entrer progressivement dans nos maisons. Cette popularité auprès des enfants et des adolescents s’explique parfaitement, et il y a deux raisons principales à cela : ces insectes effilés ou effeuillés à l’allure très singulière possèdent l’art de se fondre dans leur milieu au point de devenir invisibles d’une part, et d’autre part, les phasmoptères sont peu exigeants et s’élèvent très facilement en captivité.
Le phasme du Pérou (Peruphasma Schultei) a fait une apparition tardive dans les élevages, car il n’a été découvert que très récemment, en 2002, et n’a été décrit qu’en 2005. C’est qu’il ne vit que dans une toute petite région située dans le Nord du Pérou, surface couvrant tout au plus cinq hectares. Dans la journée, il se tient caché dans les feuilles de broméliacées, et sort à la nuit tombée pour aller se nourrir d’anacardiacées (feuilles de pistachier et de manguier). Il est particulièrement recherché dans les élevages car, tout en partageant un capital héréditaire commun à tous les phasmes, il se distingue néanmoins par sa livrée et son comportement.
Alors que la plupart des phasmes sont gris, verts, jaunes ou marrons, d’aspect lisse ou épineux, le phasme péruvien revêt un beau noir intense à l’aspect de velours. Ses yeux sont jaune vif, ses ailes vestigiales antérieures sont réticulées de blanc tandis que les ailes postérieures et les pièces buccales laissent entrevoir un éclat rouge vif lorsqu’elles s’ouvrent. Tandis que la plupart des phasmes ressemblent à s’y méprendre à une brindille, un bâton ou une feuille, ce dernier a choisi d’arborer un habit plutôt voyant. S’il ne pousse pas la technique du camouflage et du mimétisme à son plus haut degré de perfection, c’est qu’il possède une autre technique de dissuasion efficace pour assurer sa survie : le côté provoquant de sa livrée annonce sa toxicité.
On s’est en effet aperçu, après expérience, que des fourmis avaient été prises de violentes convulsions après avoir mordu un phasme péruvien, tandis qu’une mante délaissait sa proie sans la terminer, voire laissait vivre le phasme dans un coin de son terrarium. Cela signifie que le liquide circulatoire irriguant les tissus (hémolymphe) contient une substance toxique pour les fourmis et une propriété inappétente (en donnant mauvais goût par exemple) pour les mantes. De plus, si le phasme péruvien se sent dérangé ou menacé, il peut projeter jusqu’à quarante centimètres de distance une substance irritante à l’odeur caractéristique (terpène) produite par deux glandes prothoraciques. Ce liquide défensif provoque chez l’homme une irritation oculaire ou nasale qui s’estompe au bout de quelques minutes. Précisément, cette toxicité (relative pour l’homme) requiert davantage de précautions pour l’appréhender. Sa manipulation n’est donc pas indiquée pour les jeunes enfants et sa maintenance est un peu plus délicate et complexe que celle de la plupart des phasmes.
Le phasme mâle est petit et fin (4 à 5 cm de long), tandis que la femelle est plus grande, avec un abdomen renflé (6 à 7 cm de long).
Si beaucoup de ces sympathiques insectes apprécient les feuilles de ronce ou de lierre et s’accommodent parfaitement de cette frugalité, il n’en va pas de même pour notre hôte, qui préfère les feuilles de troène, de lilas, de forsythia ou de chèvrefeuille (les feuilles de manguier et pistachier n’étant pas légions dans nos contrées). Notre phytophage voit de surcroît son régime alimentaire se restreindre à la mauvaise saison, le lilas, le forsythia et certains chèvrefeuilles étant caduques. Contrairement à beaucoup d’autres phasmes qui passent leur journée dans une immobilité quasi-parfaite, notre hôte péruvien est du genre plutôt vif et sémillant, et peut se montrer en captivité très actif en journée et le soir. Tandis que la plupart des phasmes ne se déplacent que la nuit et plutôt lentement, il a tendance à prendre la poudre d’escampette lors du nettoyage de son terrarium.
Comme tous les phasmes, il se reproduit très bien en captivité mais uniquement en reproduction sexuée, contrairement à beaucoup d’autres qui se multiplient aussi par parthénogenèse (reproduction assurée uniquement par des femelles qui donnent naissance uniquement à des femelles). Leur accouplement est caractéristique, puisqu’il dure des heures et que le mâle reste sur sur le dos de la femelle pour vaquer à leurs occupations quotidiennes comme se déplacer, manger et dormir.
Pour les amoureux des phasmes, il est indispensable de connaître et même d’acclimater chez soi ce petit joyau de la nature, qui est spectaculaire et atypique à plus d’un titre. D’ailleurs, la porte est ouverte à d’autres découvertes car la nature n’a pas dit son dernier mot, en matière de phasmes. Car ce champion du camouflage se dérobe aussi bien à l’attention des prédateurs qu’à celle des entomologistes, qui doivent développer une grande acuité pour les repérer. Nos petits « fantômes » herbivores sont loin d’avoir été tous répertoriés…
Sources :
http://www.insectes.org/
Reptil mag n°35
Nac magazine n°2
Espèces n°5
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